Christine AlbanelChristine Albanel - CC Soren

Alors que l’examen du texte Création Sanction et Internet est repoussé au 10 mars prochain, le groupe UMP emmené par Jean-François Copé a organisé ce matin une petite “sauterie” à l’Assemblée nationale en réunissant des élus, artistes et représentants des industries culturelles pour faire le point sur l’avancée législative du projet de loi, mais surtout pour convaincre les quelques voix discordantes au sein du groupe parlementaire de rentrer dans le rang. Ainsi donc était présent notamment Franck Riester (rapporteur du texte), Pascal Nègre (PDG d’Universal Music France, président du SNEP et grand connaisseur des réseaux), Frédéric Lefebvre (a-t-on encore besoin de le présenter ? On en sourit d’avance !), Christine Albanel (ministre de l’industrie culturelle la culture)  ou encore Françoise de Panafieu qui aura une sortie très intéressante sur la liberté, mais nous verrons ça plus tard. Bref point de débat ici, mais plutôt une espèce de réunion avant la bataille, avant les grandes manœuvres parlementaires.

Finalement que dire sur cette réunion ? Les industriels ont parlé des chiffres (qui se cassent la figure), les musiciens ont parlé du vécu (c’est pas facile tous les jours) et les politiques ont parlé de responsabilité (civiliser le web, taxer le web, filtrer le web). À part quelques voix discordantes ou plus nuancées (merci à Alain Suguenot et Lionel Tardy), ils ont tenu encore et toujours le même discours qu’on nous ressasse depuis Napster. Les internautes sont des hors-la-loi, les internautes sont pour le tout gratuit, les internautes ceci, les internautes cela. Vous allez voir, bientôt les internautes seront responsables de la crise économique mondiale.

Bon déjà, les internautes ne sont pas pour le tout gratuit. Depuis qu’Internet a connu son essor après les années 2000, la tendance est plutôt vers la réduction des intermédiaires entre l’artiste et le consommateur/client/internaute. Je suis persuadé que beaucoup d’entre nous seraient plus volontaires à rémunérer directement l’artiste à un prix honorable. Les exemples de Radiohead et Nine Inch Nails sont très révélateurs d’ailleurs : alors que les deux groupes offraient gratuitement leurs dernières créations à télécharger, les internautes ont acheté massivement leur albums musicaux. Je ne me souviens plus pour NIN, mais dans le cas de Radiohead, l’internaute pouvait fixer librement son tarif, et c’était souvent bien au-dessus de ce que peut toucher un artiste lambda dans le système actuel. Là, un euro payé sera bien un euro récupéré par l’artiste donc.

Ensuite, l’autre chose que nos chères têtes pensantes n’ont pas bien saisi, c’est que free ne s’entend pas uniquement par le tout gratuit débridé et aveugle. Il faut aussi saisir son autre sens, libre. Libre de choisir ses artistes, ses musiques et plus largement, pour l’artiste dans ce cas-là, libre de choisir la façon de distribuer ses créations, ne plus être soumis au diktat des radios (vous savez, les titres qui parviennent tant bien que mal 2:30′…), des plans marketing ou d’une quelconque obligation de “politiquement correct” sous peine de ne plus être programmé sur les ondes ou invité à la télévision. En aparté, ceci s’applique aussi aux logiciels et compagnie !

Hormis les expériences de NIN et Radiohead, qui restent de l’ordre de l’épiphénomène, d’autres solutions existent pourtant. La plus connue reste évidemment la licence globale qui est revenu dans le débat il y a quelques semaines à travers le Parti socialiste (la contribution créative). Déjà il y a trois ans la question s’était posée lors des discussions autour de DADVSI. Une solution éphémère puisque Renaud Donnedieu de Vabres a œuvré pour que cet aspect-là soit retiré du texte final. Dommage que Jean-François Copé, celui-là même qui a écrit un ouvrage Promis, j’arrête la langue de bois, ait oublié la solution de la licence globale en disant “À l’époque de la DAVDSI (2006), il n’y avait pas de solution alternative. Aujourd’hui on a des solutions”.

Au sujet de la licence globale d’ailleurs, l’expert en P2P qu’est Pascal Nègre estime  “cela reviendrait à doubler ou tripler l’abonnement actuel aux FAI“. D’une part, je serais curieux de savoir la source de ces chiffres, et d’autre part je vous renvoie à l’article de Numérama publié le mois dernier. Dans celui-ci, Pascal Nègre estime que l’objectif de la licence globale, si elle était acceptée et appliquée, serait de revenir au poids qu’avait l’industrie musicale il y a six ans, soit 1,5 milliards d’euros selon lui. Or faites le calcul. 30 euros par mois payés par 20 millions d’internautes abonnés au haut débit, c’est 7,2 milliards d’euros de collectés par an. Pour compenser 1,2 milliards d’euros, c’est 5 euros par mois qu’il faudrait prélever. On est loin d’un doublement ou d’un triplement de l’abonnement. Zéro pointé en maths. Le reste de l’article du même tonneau, avec des remarques juridiquement et économiquement fausses.

Si le refus de la licence globale par la plupart des intervenants ne me choque pas, en revanche j’apprécie moins les mensonges utilisés par les industriels pour émouvoir les parlementaires. Citons au hasard le président de Gaumont Nicolas Seydoux (et accessoirement président de l’ALPA - Association de Lutte contre la Piraterie Audiovisuelle) qui évoque une baisse de la fréquentation des salles… ho, comme c’est étrange, Médiamétrie indique justement une hausse de 6,2% d’entrées dans les salles françaises (188,8 millions) pour l’année 2008 ! En plus, le cinéma français dépasse, en terme d’audience, le cinéma américain avec une part de marché de 45,7% contre 44,5% pour le cinéma américain. Cela ne s’est pas produit depuis 22 ans. Roooh, ma malice me dirait bien que Nicolas Seydoux étant président de l’ALPA, il n’allait pas citer une réalité qui pourrait conduire éventuellement à la suppression de l’organisme… C’est marrant, mais je suis persuadé que malgré la crise, malgré une soit-disant piraterie généralisée les salles de cinéma ou de théâtre sont pleines, des concerts refusent du monde, les festivals ne désemplissent pas et les musées affichent des chiffres record.

Ca m’embête quand même que Nicolas et moi n’ayons pas les mêmes chiffres… qui croire ? Une société anonyme interprofessionnelle ou le président d’une structure dont la nature même est de lutter contre le piratage, et donc d’inventer des chiffres artificiels pour justifier son existence… roooh !

Bon, dans ma diatribe, saluons tout de même la fin des DRM et l’accroissement de l’offre légale que les différents participants ont acté et qui pénalisaient uniquement les pauvres bougres qui étaient encore honnêtes en achetant sur les plate-formes de téléchargement. Enfin, pour la musique, car les autres secteurs sont encore verrouillés de ces “MTP” (mesures techniques de protection) qu’on ne peut même pas légalement contourner, puisque selon cette bonne loi DADVSI sous peine de sanctions pénales. La claque, tu te la prends à l’aller (les MTP) et au retour (le pénal si tu contournes).

Un autre point qui m’a fait tiquer dans le discours de Copé, c’est son analyse sur une prétendue évolution générale de l’opinion publique vis-à-vis d’Internet. Selon lui, il y a une demande du public de réguler Internet. Honnêtement, j’ai pas l’impression que mon entourage exprime un désir profond de réguler Internet. D’avoir du boulot, d’assurer son avenir, ça je veux bien, mais personne ne m’a jamais parlé d’une envie d’un filtrage du web. Même si je suis dans un milieu assez technolophile de part mes études, ce qui pourrait fausser mon impression, je ne ressens pas ce désir populaire… Jean-François, merci de définir qui demande ça ( define("Demande_du_Public", valeur); ) x).

Décidément, il y en a des choses à dire ! Continuons donc notre petit tour de table, cette fois avec Jacques Fansten, président de la SACD (Société des Auteurs et Compositeurs Dramatiques),  qui pour le coup a eu des propos pour le moins dramatiques (ok, j’arrête l’humour). À ces yeux, la coupure de l’accès à Internet “n’est pas une chose si grave“, Christine Albanel embrayant que “cela n’empêchait pas d’aller l’utiliser chez sa mère, sa copine ou sa grand-mère“. Et ils font comment les autoentrepreneurs travaillant avec le web comme outil de travail ? Et moi, pour mes études d’informatique ? Il faut que j’aille chez mon père, à 250 km de mon domicile ? Et en cas de collocation entre étudiants ? Et si on recherche un emploi ?

Frédéric Lefebvre aime se complaire dans la valeur du travail, concept qu’il nous ressort à tout bout de champ, surtout lorsqu’il a la possibilité de savater le PS en même temps. Le souci, c’est qu’Internet devient de plus en plus indispensable pour… travailler. Que ça soit scolairement, professionnellement mais aussi pour rechercher un emploi. Dans une période troublée par les agitations économiques, je ne crois pas qu’il soit de bon aloi de priver une personne d’Internet. Et si je ne crache pas sur la valeur travail, je me vois pas me taper 250 bornes pour me connecter chez mon père pour les beaux yeux de cette valeur.

Et puis bosser dans un cyber-café franchement…

La réunion de ce matin fut quand même l’occasion d’un désaccord (temporaire ! Haha, faut pas déconner non plus) entre les politiques et les industriels. À l’origine, il était question de modifier la fameuse chronologie des médias en réduisant l’écart séparant les différentes “fenêtres” (cinéma, sortie DVD, sortie VOD…) pour que le consommateur ne soit pas trop défavorisé face aux diffusions quasi-immédiates des biens culturels sur les réseaux P2P. Ni une, ni deux, Bertrand Méheut (président de Canal+ et l’ACP -Association des Chaînes Privées-) et Alain Terzian (président de l’UPF -Union des Producteurs de Films) sont montés au créneau pour signifier que c’était une mauvaise idée et qu’ils étaient fortement opposées à un rétrécissement des fenêtres. Le premier expliquant qu’il fallait entretenir une frustration d’attente chez le spectateur…

Frustration ? Ca ne vous rappelle rien ? Luc Besson avait utilisé un argument très sympathique à l’endroit des téléchargeurs, les qualifiant de “dealers”. Dealers, manque, frustration… décidément on reste dans un vocable très orienté vous ne trouvez pas ? Hmm… alors, finalement ce sont les spectateurs honnêtes qu’il faudrait maintenir dans un état de frustration, dans un état de manque ? Remarquez, Eolas l’avait entraperçu dans son billet pédagogique à l’égard de Luc Besson : car l’industrie du cinéma comme celle de la musique d’ailleurs, repose effectivement sur des comportements analogues à ceux des dealers : on crée un besoin pour hameçonner le client (bandes-annonce, matraquage publicitaire, clips alléchants sur toutes les chaînes visant le public cible) et quand il est accro, on l’oblige à payer pour l’assouvir (la place de cinéma à 10 euros, puis le DVD à 30 euros, le pay per view à 3 euros, sinon il y aura le passage à la télévision… financé par la pub ; la place de concert à 50 voire 100 euros, l’album à 25, la sonnerie à 2 euros, le single à 1 euro lisible sur un seul lecteur compatible). Sachant qu’une grande partie de la clientèle cible est mineure.

Et Frédéric Lefebvre d’ajouter, sans sourciller, pour rassurer ses compagnons d’armes : “on ne va pas dire dans la loi si c’est trois ou six mois !“.

Dans ce concert atterrant d’inepties, deux députés UMP, Alain Suguenot et Lionel Tardy, n’ont pas fait autant bloc autour des industriels que certains de leurs petits camarades. Le premier a déposé plusieurs amendements contre le projet Hadopi, soulignant qu’un “fond spécifique à travers Internet” (licence globale ?) pourrait financer la création. Dans le cas contraire, une nouvelle échéance risque d’être perdue, tout comme le fut en son temps la loi DADVSI. Lionel Tardy de son côté a jugé que la suspension de l’abonnement était “disproportionné” tout en s’interrogeant sur la nature de l’autorité issue d’Hadopi (pouvoirs judiciaires ou non ?).

Au fait, je vous avais promis l’exceptionnelle citation de Françoise de Panafieu dans ces échanges.

La voici, sans filet :

“La liberté, la liberté, les gens n’ont que ce mot-là à la bouche.”

Hé bien merci Françoise pour ce beau témoignage.

Je terminerai ce long billet par les mots de Jean Treccani, magistrat :

“Aujourd’hui, pratiquement tous les jeunes téléchargent des fichiers musicaux sans payer. On ne peut pas faire de tous des criminels. Un comportement pénalement répréhensible doit être un comportement marginal.”

Billets similaires :

Partagez cet article !
  • Digg
  • del.icio.us
  • Facebook
  • Mixx
  • Google
  • Live
  • Ping.fm
  • Scoopeo
  • Technorati
  • Tumblr
  • TwitThis
  • Wikio
  • MySpace