Christine Albanel s’en va, remplacée par Frédéric Mitterrand

Christine Albanel
Christine Albanel – CC BY-SA Richard Ying

La dernière chose à faire aurait été de la reconduire au poste de ministre de la culture et de la communication. Nicolas Sarkozy ne l’a évidemment pas fait, préférant la sacrifier comme un bon petit soldat qu’elle aura été durant tout son mandat. En cause, sa gestion catastrophique de la loi Hadopi. De la genèse jusqu’à l’apocalypse du Conseil constitutionnel, la gestion de ce projet de loi aura été catastrophique. Détricotée par le gardien de la Constitution française, elle a été assaillie constamment par les internautes, les professionnels et les institutions nationales et européennes.

Un ministre doit avant tout servir l’intérêt général, en accord avec le droit. Or, au regard du parcours chaotique de la loi, il est clair que l’ex-ministre n’a pas rempli son rôle (cf les débats à l’Assemblée nationale par exemple, où une part importante de ses réponses était lapidaire : « défavorable » ou « même avis que le rapporteur« ). Décriée pour avoir servi des intérêts particuliers sur ordre du président de la République, elle a également violée le droit à plusieurs reprises en cherchant notamment à contourner l’appareil judiciaire pour instaurer une répression de masse.

Souvenez-vous, Numerama avait listé une série d’éléments posant une vraie question sur la compétence et l’intégrité de Christine Albanel en tant que ministre. Se posait la question de savoir si Christine Albanel trompait volontairement le Parlement et les citoyens dans sa présentation du projet de loi Création et Internet et de la riposte graduée ?

* En octobre 2007, alors qu’elle n’en a pas les pouvoirs, Christine Albanel fait du chantage à Free pour obtenir la fermeture d’un service d’échange de fichiers contre l’accès à la 4ème licence 3G.
* L’an dernier, pour justifier de la lutte contre le piratage à grande échelle, Christine Albanel affirme dans un communiqué que 500.000 emplois représentés par les artistes et l’industrie culturelle sont menacés. Or lorsque Numerama a démontré d’après les propres documents du ministère qu’en tirant très fort sur la corde on obtenait au mieux 157.000 emplois culturels dont 100.000 (sic) pour la publicité, le ministère n’a jamais voulu répondre en détail à nos demandes d’éclaircissement.
* En novembre 2008, peu avant le débat au Sénat, la ministre de la Culture ouvre un site de propagande pour défendre le projet de loi Création et Internet, Jaimelesartistes.fr. Le site compte de nombreux lobbys parmi ses partenaires, qui sont finalement (mal) masqués pour ne pas risquer la polémique. Certains des lobbys fournissent des contenus au site. D’autres participent peut-être à son financement.
* Toujours sur ce site, le ministère de la Culture invite les visiteurs à signer la pétition coordonnée par la SACEM, une société privée d’auteurs, de compositeurs et d’éditeurs de disques. Un beau mélange des genres.
* Toujours dans la même période, le ministère envoie massivement des messages non sollicités aux internautes pour leur demander d’aller consulter le site de propagande. A l’appui du message, le ministère communique des évaluations chiffrées de l’ampleur du piratage, qui tous sans exception sont tirées d’études commandées ou réalisées par des lobbys de l’industrie culturelle. Ni le message ni le site ne le précisent.
* A aucun moment le ministère ne fait état de ses propres études réalisées en interne. Il a pourtant à sa disposition le Département des Etudes, de la Prospective et des Statistiques (DEPS). Mais il est vrai que ses études sont moins spectaculaires et ne vont pas dans le sens des lobbys…
* Idem pour les études de chercheurs indépendants, qui ne sont jamais citées.
* Dans l’enceinte-même du Parlement, devant les sénateurs, Christine Albanel a repris les mêmes chiffres catastrophistes, sans préciser aux élus qu’ils étaient issus d’études mandatées par des groupes privés qui ont intérêt à voir la loi votée. Cette ommission a pu conduire les sénateurs à croire la situation plus grave qu’elle ne l’est en réalité, et à voter une loi qu’ils n’auraient pas adopté avec d’autres chiffres plus réalistes.
* Toujours au Sénat, Christine Albanel a fait référence à un sondage censé démontrer la popularité de la riposte graduée, sans préciser ni que le sondage était commandé par un lobby du disque, ni que dans la question posée aux Français la suspension de l’abonnement à Internet était opposée à la peine d’emprisonnement prévue dans le code pénal pour l’ensemble des contrefaçons.
* Lors du débat au Parlement et dans diverses interventions publiques, elle prétend que le retrait des DRM par les maisons de disques est un effort réalisé par anticipation du vote de la riposte graduée alors qu’il s’agit d’une décision mondiale prise par les maison de disques qui ont enfin réalisé que les DRM ne faisaient pas vendre plus d’albums, mais moins.
* Lors de son audition en commission devant les députés, Christine Albanel a assuré que le piratage en Nouvelle-Zélande avait diminué grâce à la riposte graduée. Or la riposte graduée n’était pas encore appliquée en NZ, et ne le sera peut-être, que dans des conditions beaucoup plus restrictives qu’en France ! Lors du débat au Sénat, Mme Albanel avait également fait part des exemples américains et britanniques, alors que la RIAA cherche encore des FAI prêts à collaborer aux Etats-Unis, et que la Grande-Bretagne ne souhaite pas déconnecter les pirates présumés.
* Non contente que la mission sur la lutte contre le piratage fut confiée au patron de la FNAC de l’époque, Christine Albanel a demandé à l’omniprésent professeur Pierre Sirinelli de diriger une mission similaire de concertation pour le filtrage du web 2.0. Or le Pr. Sirinelli a travaillé en 2007 pour le lobby français du disque à la rédaction d’un rapport préconisant le filtrage, ce qui devrait suffire à démontrer un conflit d’intérêt.
* Christine Albanel continue sans cesse de se référer aux accords de l’Elysée négociés par Denis Olivennes, alors-même que l’un des principaux signataires, Free, a fustigé la méthode employée et renié la substance des accords.
* Elle refuse de taper du poing sur la table contre les industries du cinéma sur la chronologie des médias, alors-même que consommateurs, sénateurs et députés l’exigent depuis plusieurs années.
* Elle feint d’ignorer totalement les problèmes graves posés par son projet de loi, tels que les risques d’accuser un innocent ou l’impossibilité pour une personne sanctionnée de prouver matériellement sa bonne foi.
* Elle nie le fait que l’accès à Internet puisse être un droit fondamental en Europe qui ne peut être violé que par ordre d’un tribunal, quand même bien même les députés européens ne cessent de le répéter.

Évidemment cette liste avait été rédigée avant le 18 février 2009. Entre temps, beaucoup d’autres choses se sont déroulées depuis. Bref, maintenant que la ministre du pare-feu OpenOffice s’en va, il fallait mettre un nouvel individu à ce poste. Nicolas Sarkozy a choisi Frédéric Mitterrand, neveu de l’ancien président, pour ce poste. À première vue, politiquement ça semble être une bonne tactique. Homme de gauche et de culture (il a été tour à tour animateur de télévision, écrivain, scénariste, producteur et réalisateur de documentaires et de films de cinéma. Il a étalement été le directeur de l’Académie de France à Rome, connue aussi sous le nom Villa Médicis), il devrait moins prêter le flanc aux critiques du Parti socialiste.

Bref, difficile de prédire comment Frédéric Mitterrand gérera le dossier Hadopi 2, rue de Valois. Mais je ne l’imagine pas s’éloigner énormément du chemin balisé par Nicolas Sarkozy. Souvenez-vous, il « ira jusq’au bout« …

P.s. : notons que Nathalie Kosciusko-Morizet, bien qu’en phase de grossesse, a été confirmée au poste de secrétaire au développement de l’économie numérique, ce qui n’est pas fondamentalement une mauvaise chose, puisqu’elle semble être l’une des plus compétentes sur la question.

P.s. 2 : en tout cas, le nouveau ministre de la culture commence par une mini-gaffe : impatient, il se déclare ministre alors même que son nouveau statut n’a pas été officialisé par l’Elysée ! En effet, c’est bien connu, on ne s’auto-proclame pas ministre, quand bien même on est le neveu d’un ancien président de la République. Bavard, le Mitterrand ! Va-t-il parvenir à nous faire oublier les « anéfé » et autres albaneleries ? :)

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