Rien
ne lui fera abandonner le combat. C’était une promesse faite par
Nicolas Sarkozy aux lobbys de l’industrie culturelle, et elle entend
bien la défendre jusqu’au dernier souffle d’air qu’elle parviendra à
trouver dans ce dossier. Confirmant nos craintes,
la ministre de la Culture Christine Albanel a rejeté la portée de
l’amendement anti-riposte graduée voté mercredi par le Parlement
Européen. Elle garde le projet de loi Création et Internet à son agenda.

Non, rien de rien, non, je ne changerai rien. C’est payé, balayé, oublié. Je m’fous des députés.

Edith Piaf avait son Marcel Cerdan, Pascal Nègre a sa Christine
Albanel. Telle la boxeuse sur son ring, la ministre de la culture
encaisse les coups les uns après les autres mais se relève toujours,
poussant son combat jusqu’au dernier round en se sachant constamment au
bord du K.O. Contre toute attente, dans ce que l’on croyait être
mercredi la dernière reprise, la puncheuse a encore trouvé l’énergie de tenir sa garde au bout d’un affrontement musclé, et a refusé de jeter l’éponge.

Au premier round, en avril 2008, l’ancienne patronne du Château de Versailles avait encaissé un premier crochet du gauche du Parlement européen, déjà, et elle s’était relevée, déjà. "Le Parlement européen n’a pas une bonne compréhension de ce que nous allons faire et nous allons le leur expliquer", déclarait la ministre à peine vacillante en revenant vers son crachoir.

Au second round, un mois plus tard, c’est le régulateur européen des télécoms
qui décroche une droite. Bien positionnée sur ses jambes, Albanel
esquive et retourne dans son coin nettoyer son protège-dents en
attendant le gong.

Au troisième round, elle récidive l’exploit. Cette fois c’est la CNIL qui tente de passer sous les gants mais la ministre s’accroche bien à son adversaire et la renvoie dans ses cordes. Elle rappelle dans un rictus
que la Commission qui protège la vie privée des Français n’a qu’un avis
consultatif, et qu’elle n’est donc pas tenue de le suivre. Sautillante
sur le ring, elle attend son prochain adversaire d’un regard déterminé.

Au quatrième round, c’est cette fois le Conseil d’Etat
qui ose s’approcher de la ministre et lui adresser quelques coups dans
les reins. Sans grande conviction. Christine Albanel encaisse les coups
en armant la riposte.

Au cinquième round, c’est l’ISOC,
une organisation internationale reconnue et respectée qui déclenche un
crochet, aussitôt bloqué par la ministre. Dans le public, personne n’a
rien vu. La serviette n’est même pas de sortie.

Elle se relève au bout de l’effort

Jusque là, la championne a enchainé les reprises avec force, sûre de
tenir la victoire aux points. A l’entame de la sixième reprise, elle
rassure son coach. "Il y a un agenda parlementaire très chargé. C’est une bataille. Mais je sens beaucoup de volonté politique" pour faire étudier le projet de loi en novembre au Sénat, promet la ministre avant d’entrer une nouvelle fois sur le ring.

Le sixième round
lui est pourtant presque fatal. Le Parlement Européen revient le
mercredi 24 septembre dans l’arène avec l’envie d’en découdre, et se
précipite sur son adversaire pour lui asséner un violent uppercut
sous le menton. Le public retient son souffle. Pour la première fois la
ministre s’effondre sur le tapis. On croit au K.O. La force du coup
laisse les commentateurs ébahis (573 voix pour, 74 contre ; près de 85
% des voix). L’arbitre décide de compter. Dix. Neuf. Huit. Sept…
arrivera-t-elle à se relever ? Six… Cinq… Quatre… Albanel
commence doucement à se réveiller. Elle soulève une paupière, puis
l’autre. Trois. Les observateurs s’interrogent. Pourrait-elle encore
une fois remonter sur le ring et renvoyer des coups ? On imagine l’impossible. Deux. La ministre se met sur ses genoux, elle vacille encore. Un. Cette fois, elle est debout.

Reprise. Le vote du Parlement européen "ne s’oppose pas" au
maintient de la loi Création et Internet et à la mise en place de la
riposte graduée, proclame dans la soirée la ministre en recrachant une
dent, puis deux. Comme dans le scénario de science-fiction que nous
avions imaginé, Christine Albanel fait "observer que le débat qui s’est déroulé intervient en première lecture". "Aucun
des Etats membres qui composent le Conseil de l’Union, pas plus que la
Commission, n’ont manifesté leur volonté de soutenir un amendement de
cette nature
", rappelle la ministre, qui mise donc sur un
retoquage de l’amendement par le Conseil, avant un renvoi au Parlement
en deuxième lecture.

La ministre affirme que le texte adopté mercredi par le Parlement Européen "se borne à rappeler un principe général qui n’apporte rien au droit existant", ce qui doit conduire à "rejeter
catégoriquement l’interprétation donnée par le député socialiste
européen Guy Bono et par les lobbyistes qui s’opposent à la défense des
droits des créateurs
". Plus tôt, le député Bono avait proclamé la
mort de la riposte graduée qui devait conduire à suspendre ou résilier
l’abonnement à Internet de certains P2Pistes présumés sur simple
condamnation administrative.

Le texte de l’amendement voté par les eurodéputés dispose que "aucune
restriction aux droits et libertés fondamentales des utilisateurs
finaux ne doit être prise sans décision préalable de l’autorité
judiciaire
". Poings serrés, Christine Albanel refuse de
reconnaître que parmi les droits et libertés fondamentales des
utilisateurs finaux d’Internet figure le droit… d’accéder à Internet.
Elle veut s’en remettre pour interprétation à la Cour européenne de
justice, qui ne se prononcera qu’en cas de litige, et donc en cas de
mise en oeuvre de la riposte graduée.

La ministre s’est bien relevée, mais elle a définitivement perdu toute sa lucidité.

Il y aura une huitième reprise.

- Via -

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