Si vous ne voulez pas qu’on le sache, mieux vaut encore ne pas le faire
Vous l’avez certainement découvert dans la presse, quelques artistes se sont regroupés pour rédiger une lettre ouverte à l’attention de Martine Aubry, remettant ainsi en cause la position du Parti socialiste dans le débat sur Hadopi. À l’origine, je n’avais pas particulièrement prévu d’en parler, mais au regard de certaines réactions sur le contenu de cette lettre, je me suis finalement convaincu que je devais fournir quelques éléments supplémentaires de réflexion afin d’y voir un peu plus clair.
Je reprends ainsi un commentaire que j’avais rédigé sur un autre blog.
Juliette Greco, Michel Piccoli, Maxime Le Forestier et Pierre Arditi. Des noms qui ne vous sont certainement pas étrangers. Comédien, chanteur ou encore acteur, chacun d’entre eux a laissé une trace non négligeable dans son domaine d’activité. Pourtant, nonobstant tout le respect que l’on doit à nos aînés, je ne suis pas certain qu’il soit de bon aloi d’avoir ainsi interpellé le PS sur un sujet délicat concernant la neutralité des réseaux, la révolution numérique et l’impact d’Internet sur nos sociétés modernes. En effet, chacun d’entre eux a atteint respectivement l’âge honorable de 82 ans, 84 ans, 60 ans et 65 ans. Et je suis parfois circonspect quand à leur capacité d’embrasser d’un seul coup ces différents enjeux.
Mais ce n’est pas le plus important.
Depuis le début de ce débat sur le “téléchargement illégal”, les pro-Hadopi (comprenez les industries culturelles) ont eu à cœur de construire un argumentaire qui repose en réalité sur une escroquerie intellectuelle.
Normalement, le créateur est censé être propriétaire de sa création. Jusqu’ici, rien d’étonnant et personne ne le contredira, qu’il soit de droite ou de gauche. Or, en pratique, la réalité est tout autre. En effet, le système actuel est conçu de telle sorte que le créateur n’est pas la personne exploitant sa création. En clair, ce n’est pas elle qui en tire des bénéfices, mais bien des sociétés de gestion de droits comme l’inévitable SACEM. Pour faire simple, c’est une dépossession de fait puisque le créateur délègue l’exploitation de sa création, de son œuvre à un tiers.
Inévitablement, les plus “gros” auront leur mot à dire dans ce système. Forcément, on les laissera s’exprimer, car au regard du volume d’argent qu’ils représentent, il ne serait pas très productif de froisser la poule aux d’or. D’où les sorties régulières de quelques artistes qui se plaignent du comportement des internautes qui pillent leurs œuvres. Ca laisse ainsi germer dans l’esprit des gens que le revenu des créateurs est directement lié au téléchargement de masse, ce que de nombreuses études tendent à infirmer.
Pour quelques “gros” pouvant ainsi donner l’illusion que tout va bien dans le meilleur des mondes, combien de “petits” peuvent s’exprimer librement et espérer toucher quelque chose ? Hélàs, la plupart du temps, leur revenu oscille entre une somme symbolique ou rien du tout. Et ce n’est dès lors pas Internet qui aspire les quelques euros que peut générer un artiste, mais bien l’ensemble du système qui s’est construit autour du créateur.
Le contenu de la lettre est finalement très révélateur : on y lit non sans une certaine surprise que ce sont en réalité les opérateurs de télécommunications qui pillent la création.
Allons bon, ce ne sont donc plus les vils-internautes-champions-du-monde-du –piratage les coupables dans cette histoire ? Hé non ! Ce sont les opérateurs de télécommunications qui pillent la création. C’est marqué noir sur blanc dans la lettre ouverte.
La conclusion se fait d’elle-même. On assiste à une lutte entre deux univers, celui de l’industrie culture contre celui de l’industrie des télécoms. Le véritable enjeu n’est pas Hadopi, quand bien même des millions de Français sont placés dans une insécurité juridique et administrative, quand bien même on manipule les artistes contre leur public.
Pas convaincu ?
Lisez donc dans l’article 5 de Hadopi :
“Art. L. 336-2. - En présence d’une atteinte à un droit d’auteur ou à un droit voisin occasionnée par le contenu d’un service de communication au public en ligne, le tribunal de grande instance, statuant le cas échéant en la forme des référés, peut ordonner à la demande des titulaires de droits sur les œuvres et objets protégés, de leurs ayants droit, des sociétés de perception et de répartition des droits visées à l’article L. 321-1 ou des organismes de défense professionnelle visés à l’article L. 331-1, toutes mesures propres à prévenir ou à faire cesser une telle atteinte à un droit d’auteur ou un droit voisin, à l’encontre de toute personne susceptible de contribuer à y remédier.”
L’article L. 336-2 est bien l’arme des industries culturelles pour saisir le juge judiciaire afin de stopper n’importe quel responsable, quand bien même il serait éditeur ou hébergeur, pour faire respecter leurs droits. Y-aurait-il donc trop d’argent en jeu pour justifier le verrouillage total d’Internet en France, en instaurant un contrôle généralisé à grand coup de mouchards, de condamnations expresses et de filtrage du web ?
Tout comme TF1, le ministère de la culture et Françoise de Panafieu se refile la patate chaude sur l’affaire de Jérôme Bourreau licencié pour avoir une opinion politique personnelle exprimée dans une correspondance privée, l’industrie culture, l’industrie télécom et les pouvoirs politiques vont se refiler la responsabilité du filtrage global ; mais tous y ont un intérêt dans ce contrôle général.
C’est juste que personne ne veut s’attirer la haine durable des internautes, puisque la philosophie du net est bien la neutralité des réseaux.
Au final, les artistes seront les grands perdants dans cette histoire, alors même qu’on leur fait croire que cette loi est pour eux.
Soyons clairs, le téléchargement ne touche que très marginalement leur revenus (je peux tout à fait vous sortir les chiffres de la fréquentation des salles de cinéma en France entre 2007 et 2008, ou encore les revenus croissants de la SACEM entre 2000 et 2008).
Ce n’était pas leur combat, et les voilà décrédibilisés auprès de leur public, à la grande satisfaction des forces se muant en arrière-plan.
1 Response to Dans les coulisses de l’Hadopi, un autre combat
Jacques Attali répond aux artistes dans une lettre ouverte | Mind Overflow
11 mai 2009 at 10 h 27 min
[...] de l’affaire de la lettre ouverte critiquant la position du Parti socialiste sur le téléchargement illégal. Cette fois-ci, [...]