Quand le gouvernement caviarde Wikipédia

17 mai
2009

Avec plus de 800 000 articles disponibles contenus dans la version francophone de Wikipédia, le vaste projet d’encyclopédie collective établi sur Internet est devenu progressivement une référence pour de nombreux internautes, malgré des erreurs, des oublis ou des caviardages sur certains types d’articles, comme les fiches politiques, historiques ou les sujets d’actualité. Pourtant, malgré quelques défaillances, l’encyclopédie continue son chemin de croix pour proposer un projet universel, multilingue, au contenu libre, neutre et vérifiable. Chacun peut participer, chacun peut éditer, bref, chacun peut améliorer Wikipédia.

Or justement, Wikipédia est un problème. Pas pour nous, misérables péquins qui ne comprenons décidément rien à rien, mais pour les puissants. Car Wikipédia est très bien référencé sur l’ensemble des moteurs de recherche, en particulier Google, le navigateur utilisé majoritairement dans l’Hexagone (autour de 90% des recherches françaises sont gérées par le moteur de recherche me semble-t-il). Et justement, cette importante visibilité gène inévitablement les puissants aux entournures, surtout lorsque le contenu est libre, neutre et vérifiable. Logique, l’information qui y circule à l’intérieur est en dehors des sites officiels (corporate), des relais publicitaires ou des communiqués officiels.

Si je vous parle de cela, c’est parce qu’un caviardage est survenu à plusieurs reprises sur l’article Loi Hadopi, obligeant la communauté  à apposer deux bandeaux d’avertissement : Les contributeurs sont tenus de ne pas participer à une guerre d’édition sous peine de blocage et Cet article provoque une controverse de neutralité, tout en verrouillant la page aux utilisateurs non-inscrits et identifiés. Forcément, au regard des statistiques de fréquentation de l’article (plus de 85 000 en mars, plus de 150 000 fois en avril et déjà plus de 117 000 en mai, avec des pics proches de 20 000/jour lors des moments-clés parlementaires), l’article dispose d’une énorme visibilité et incite fortement le pouvoir à réécrire une entrée encyclopédique pour qu’elle soit conforme.

Ainsi, pour coller à la ligne officielle du gouvernement, une première tentative a lieu le 14 février sur l’amendement 138 de Guy Bono. L’employé du ministère de la culture ne sachant visiblement pas que non seulement Wikipédia dispose d’outils de traçage fiables, mais qu’en plus la communauté Wikipédia est sérieuse et vigilante. Ainsi l’indélicat laisse-t-il son “identité” (proxy-valois.culture.fr / IP : 143.126.11.222 / descr: Centre des Telecommunications / descr: Ministere de la culture, de la communication / country: FR) à tous :

Avant :

Ce qui signifie que pour couper l’accès internet d’un abonné il faut d’abord passer par un tribunal (ce qui remet en cause la suspension de l’accès Internet de la riposte gradué). Le texte du Paquet Télécoms n’est pas définitif.

Après :

Cet amendement a été interprété par certains de ses promoteurs - et notamment le député socialiste français Guy Bono - comme faisant obstacle à la suspension de l’accès à Internet sans décision judiciaire : selon Guy Bono en effet, la possibilité de disposer d’une connexion Internet à domicile devrait être qualifiée de liberté fondamentale. Ce point de vue reste discuté, aucune juridiction d’aucun pays de l’Union européenne n’ayant pour l’instant conféré un tel statut à l’accès Internet. En tout état de cause, l’amendement 138 a été écarté du Paquet Télécoms par les 27 États membres lors de son examen en première lecture par le Conseil de l’Union européenne. Le Paquet Télécoms fera toutefois l’objet d’une seconde lecture au printemps 2009, par le Parlement Européen puis par le Conseil.

Certainement satisfait du résultat, l’envoyé gouvernemental s’est attaqué à un autre paragraphe, sur les effets de l’amendement 138 sur Hadopi, qui enquiquine toujours autant le gouvernement :

Cette phrase :

Cet amendement remet en cause la suspension de l’accès internet par la riposte graduée.

Est devenue :

Cet amendement qui était présenté par certains de ses auteurs comme remettant en cause la suspension de l’accès internet par la riposte graduée a toutefois été supprimé par les États membres de l’Union européenne lors de l’examen du Paquet Télécoms par le Conseil.

Et tant qu’à être sur place, dans la section consacrée à l’accueil du projet de loi, l’anonyme (qui n’est venu que pour Hadopi, au regard de la liste des contributions) en a profité pour promouvoir le site très contesté du site J’aimeLesArtistes.fr, en précisant la mention suivante :

De son côté, le ministère de la Culture a mis en ligne un dossier d’explication et notamment une synthèse “10 idées fausses sur le projet de loi” (http://www.jaimelesartistes.fr).

La grande classe ces réécritures !

Au final, ce n’est pas nécessairement scandaleux que des modifications soient apportées à l’encyclopédie, quand bien même celles-ci proviennent des ministères ou de grandes entreprises. Simplement, le faire de façon anonyme et sans la moindre gêne (comprendre : sans participer à la discussion et en expliquant les raisons de ces corrections), cela cristallise les positions et donnent le sentiment que le gouvernement ne comprend décidément rien à Internet. L’encyclopédie, malgré ses errements, ne fonctionne pas comme cela. En cherchant à y glisser le sceau “officiellement approuvé”, l’effet est forcément désastreux.

“Seule l’erreur a besoin d’un soutien gouvernemental. La vérité sait se défendre elle-même.”
- Thomas Jefferson

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1 Response to Quand le gouvernement caviarde Wikipédia

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okrum

17 mai 2009 at 21 h 16 min

Super article. Merci.

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