Serait-ce la mort d’Hadopi ?


Victory – CC BY-NC-ND sgatto

J’en avais complètement oublié les débats sur Hadopi et la saisine du Conseil constitutionnel par les parlementaires opposés au texte.

Et au détour d’une brève publiée sur Le Figaro, j’apprends que les Sages du Conseil constitutionnel ont censuré l’essentiel du texte.

Oui, l’essentiel, et plus exactement quatre grands points : les attributions de la CPD, le statut d’Internet dans notre société, le rôle du juge judiciaire et la présomption d’innocence en France.

Tout d’abord, la Commission de Protection des Droits (CPD), qui, comme le décortique Eolas, était en réalité la véritable menace dans cette loi, n’aura plus son pouvoir de sanction. En clair, la CPD ne pourra pas sectionner votre connexion Internet. Tout juste pourra-t-elle émettre des avertissements. Si c’est une réelle avancée dans la sauvegarde des droits des e-citoyens, on reste circonspect sur la manière dont la CPD sélectionnera les internautes à avertir. Comment se déroulera ce processus ? La CPD passera-t-elle par des sociétés privés pour relever les supposés « pirates » ? Et quid de la vérification formelle qu’un internaute a bien téléchargé un contenu protégé ?

En tout cas, tout le cheminement, la fameuse riposte graduée, a été refusée par le Conseil constitutionnel. Et c’est très bien.

Le deuxième point de la décision du Conseil constitutionnel réside dans le statut d’Internet : c’est désormais un droit fondamental. Oui, vous avez bien lu, fondamental. Au même titre semble-t-il que des droits canoniques comme la liberté d’expression ou la liberté d’opinion. D’ailleurs, l’institution a estimé qu’un accès Internet était une composante désormais essentielle de la liberté d’expression (« [...]Ces pouvoirs pouvaient donc conduire à restreindre l’exercice, par toute personne, de son droit de s’exprimer et de communiquer librement[...]« .). En ce sens, la décision du Conseil constitutionnel semble se rapprocher grandement de l’ex-amendement 138 de Guy Bono qui dressait l’accès à Internet comme un droit fondamental. Amendement qui figure d’ailleurs actuellement dans le Paquet Télécom, paquet qui vise à réformer en profondeur la régulation des réseaux de communication et de services électroniques. Réforme bloquée d’ailleurs par la France, justement à cause de l’obsession à vouloir supprimer cet amendement Bono.

Et à côté de ça, quand je pense que Jean-François Copé, au micro d’Europe 1, se montrait indigné qu’un des moyens permettant à un citoyen de s’acquitter de l’impôt en ligne, s’instruire, se cultiver, se divertir, accéder à des services publics, bénéficier d’assistances quelconques, de se former, de travailler à distance était élevé comme « droit fondamental ». Car oui,  de plus en plus d’activités se déroulent désormais sur Internet : citons ainsi le télétravail, la recherche d’un emploi (plus de 6% des actifs en France fin 2008), le soutien scolaire ou encore la réalisation de tâches administratives comme les impôts qui peuvent conduire à une réduction s’ils sont déclarés en ligne. Et n’est-ce pas d’ailleurs Frédéric Lefebvre qui déposait un amendement – rejeté depuis – en ce sens sur le télétravail ? Bref, un certain nombre de démarches, de procédures ou plus généralement d’activités seraient difficiles à réaliser avec la coupure d’un abonnement Internet. Un retour en arrière bien dommageable à l’heure où la France ambitionne de devenir une des plus grandes nations du numérique avec son “Plan Numérique 2012″ (accès aux réseaux et aux services numériques, développement de la production et de l’offre de contenu numérique, diversifier et accroitre les usages des services numériques dans les entreprises, les administrations et chez les particuliers et moderniser la gouvernance de l’économie numérique). Sans parler de la recherche scientifique qui pourrait aussi être impactée.

Troisième point, la place du juge judiciaire dans le processus de coupure d’un accès Internet. Dans la mesure où l’accès à Internet est désormais considéré comme un droit fondamental par ce qui est sans doute l’institution française la plus essentielle de par son rôle de gardien de la Constitution, la coupure dudit accès ne peut désormais que se faire sur décision du juge… judiciaire : « les articles 5 et 11 de la loi déférée confiaient à la commission de protection des droits de l’HADOPI des pouvoirs de sanction l’habilitant à restreindre ou à empêcher l’accès à Internet à des titulaires d’abonnement ». Or, « Ces pouvoirs pouvaient donc conduire à restreindre l’exercice, par toute personne, de son droit de s’exprimer et de communiquer librement. Dans ces conditions, le législateur ne pouvait, quelles que soient les garanties encadrant le prononcé des sanctions, confier de tels pouvoirs à une autorité administrative dans le but de protéger les titulaires du droit d’auteur. Ces pouvoirs ne peuvent incomber qu’au juge« .

Et le Conseil constitutionnel de rappeler qu’en France, ce qui prime c’est bien évidemment la présomption d’innocence : « l’article 9 de la Déclaration de 1789 pose le principe de la présomption d’innocence duquel il résulte que la loi ne saurait, en principe, instituer de présomption de culpabilité en matière répressive (n° 99-411 DC du 16 juin 1999). Or, aux termes de la loi déférée, seul le titulaire du contrat d’abonnement à internet pouvait faire l’objet des sanctions instituées. Pour s’exonérer, il lui incombait de produire des éléments de nature à établir que l’atteinte portée au droit d’auteur procède de la fraude d’un tiers. En méconnaissance de l’article 9 de la Déclaration de 1789, la loi instituait ainsi, en opérant un renversement de la charge de la preuve, une présomption de culpabilité pouvant conduire à prononcer contre l’abonné des sanctions privatives ou restrictives du droit. »

La présomption de culpabilité, ce n’est définitivement pas pour demain. Et pour cause, elle est incompatible avec notre droit français.

Reste à voir comment réagira Christine Albanel, mais je suis bien persuadé qu’elle ne lâchera en rien le morceau.

Vous voulez que je vous dise ?

Vivement le remaniement ministériel !

Et dire que l’UMP en avait fait une question personnelle après la ruse de coyotte des opposants aux textes qui s’étaient planqués dans les recoins de l’Assemblée nationale…

2 commentaires

  1. claudeee a dit :

    un bonsoir en passant.
    en tout cas cela fait plaisir de voir que … la constitution existe encore … le rappel de la présomption d’innocence entre autre…. et le rejet de l’autorité administrative… :)

  2. Soren a dit :

    Comme presque attendu, Albanel songe apparemment à faire promulguer sa loi, alors que toute la substance en a été vidé et qu’Hadopi est plus en mort cérébrale qu’autre chose… pénible cette méthode Coué !

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