Tōkyō Sonata

Tōkyō Sonata.

Typiquement le genre de film que je n’aurais pas vu s’il n’avait pas remporté une quelconque distinction. Non pas que la récompense joue un rôle fondamental dans mes choix cinématographiques, mais sans ce coup de pouce, il n’aurait sans doute pas eu l’écho nécessaire pour parvenir jusqu’à mes oreilles.  En l’occurrence, c’est  le Prix du Jury 2008 du Festival de Cannes qui a été décisif, plus que les sept autres récompenses et nominations.

Tōkyō Sonata donc.

J’ai hésité à en faire une note d’ailleurs. Critiquer un film est un art bien compliqué, d’autant plus pour le cinéphile amateur que je suis ; et pour ne pas simplifier la tâche, j’ai le sentiment que le film offre assez peu de prises pour en parler. Car Tōkyō Sonata est singulier. Tout d’abord, parce qu’il tranche avec le reste de la filmographie de Kiyoshi Kurosawa. En effet, le cinéaste japonais est surtout connu pour être un maître du thriller fantastique et de l’horreur. Or ici, le film prend place dans un Japon touché par un malaise social  rampant Au centre se trouve une famille en crise dont les relations se dégradent. Touchée par les aléas de la vie, elle est entraînée dans une spirale infernale. Et tous cherchent à fuir pour ne pas affronter la réalité.

D’ailleurs, si vous n’avez pas vu le film et que vous ne souhaitez pas que je vous révèle certains éléments cruciaux de Tōkyō Sonata, n’allez pas plus loin !

Avant toute chose, levons le voile sur le nom de Kurosawa. Oui, c’est le même que l’inévitable Akira, mais ils n’ont aucun lien de parenté. Tout juste partagent-ils la même passion du cinéma. Seulement, il y a un qui peut encore l’exprimer derrière une caméra… ;-). Revenons-en au film. De tous les productions japonaises que j’ai eu l’occasion de voir, Tōkyō Sonata est sans doute la plus normale. La plus fidèle à la réalité, à notre réalité. Enfin… à la réalité des Japonais. Ne cherchez pas de super-héros surpuissants, de méchas high-tech ou de ninjas experts en arts martiaux, vous n’en trouverez pas. En revanche, vous verrez le quotidien d’une famille ordinaire dans un pays industrialisé. Une famille sans histoire… ou presque.

Car derrière ce beau verni de l’unité familiale à la japonaise, l’implosion guette. Le père, salaryman typique, est licencié en quelques instants de son poste de directeur administratif. C’est le premier acte de la descente aux enfers. Coup dur pour un homme qui avait atteint un rang non-négligeable dans sa société et qui pouvait sans doute prétendre à une certaine stabilité. Coup dur qui aurait peut-être du entrainer une remise en question, mais non. Plutôt que d’en parler à sa femme, le père cherche à conserver sa stature professionnelle et son autorité paternelle. Pour cela, il s’enferme dans un engrenage de mensonges dont il ne sortira pas. Chaque jour, il fait ainsi mine de partir au travail, alors qu’en réalité, chaque jour il erre dans le Tokyo des marginaux, dans le Tokyo des déclassés. Et sa rencontre inattendue avec une ancienne connaissance ne va malheureusement pas l’aider à aller dans le bon sens.

Son ami, chômeur également, est un menteur expérimenté. À la soupe populaire, ce « pro » lui divulgue ses meilleures astuces pour garder la face auprès de sa femme et de sa fille : il va même jusqu’à configurer son téléphone portable pour qu’il sonne à intervalles réguliers pour donner l’illusion qu’il a d’importantes responsabilités ! Car on l’appelle même le soir ! Tout le monde ment dit un célèbre médecin. Dans ce film, c’est le cas. Ou plutôt, tout le monde ne dit pas tout. Tout le sel du film repose sur les non-dits, les secrets et les silences. Les regards en disent long sur ces secrets qui pèsent de plus en plus lourd sur les épaules de ces apprentis menteurs… tandis que le père s’enferme dans un rôle qu’il ne maitrise plus vraiment, ses enfants commencent à formuler d’autres désirs, à aspirer à d’autres projets. Le plus jeune veut faire du piano, l’aîné veut s’engager dans l’armée. Les deux enfants, confrontés au mur paternel, devront également rentrer dans une logique de mensonge. La mère ferme alors ce cercle en essayant d’arrondir les angles… pour y parvenir, par d’autre choix que de mentir à son mari pour préserver les rêves des enfants.

Tenez, dans l’extrait ci-dessus. N’avez-vous pas le sentiment que la manière dont se place la caméra entre les deux étagères pour filmer la scène du dîner renforce ce sentiment d’écrasement ? J’ai vraiment l’impression que les échanges sont coincés, que la discussion est contenue. C’est sans doute pour accentuer le délitement familial. Un vrai volcan prêt à exploser. Sans parler du rythme du film qui est assez immobile avec des plans généralement fixes. Et à côté, des séquences très brèves qui se coupent aux moments cruciaux : citons au hasard la scène où un recruteur demande sans rire au père à la recherche d’un emploi d’improviser un karaoké en utilisant un stylo en guise de micro… ou la séquence de la leçon de piano qui s’achève pile au moment où les premières notes vont être jouées.

Au final, j’ai vraiment aimé ce film, même si quelques éléments m’ont troublé. Par exemple, l’engagement militaire du fils aîné, d’autant qu’il choisit l’armée américaine et qu’il va être déployé par la suite en Irak. Un rebondissement inattendu, mais peut-être était-il nécessaire pour souligner l’éloignement de chacun : l’aîné au Moyen-Orient, le père errant dans les rues, le fils en fuite et la mère enlevée… d’ailleurs ce dernier point aussi m’a paru un poil saugrenu. Mais c’est vraiment pour pinailler.

Une lumière semble percer à l’horizon toutefois, à la toute fin du film. Puisque chaque membre de la famille a été confronté à une impasse (le père dans la rue, la mère au bord de l’océan, le cadet au poste de police et l’aîné dans une zone de guerre), chacun finit par faire marche-arrière et à rejoindre le nid familial. Mais, on ne sait pas vraiment si tous les liens pourront être retissés… sur ce point-là, le film reste muet…

Et les premières notes de la sonate commencent.

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