Depuis deux semaines, la fondation Wikimedia est agitée par un débat d’importance portant sur la limite à ne pas franchir pour illustrer certains sujets. En effet, la pertinence de quelques contenus multimédias a été remise en question, ainsi que les privilèges du compte de Jimmy Wales, le fondateur du projet encyclopédique libre et universel (nous verrons plus loin pourquoi). À l’origine de la polémique, un courrier de Larry Sanger adressé au FBI dans laquelle il fait part de ses préoccupations sur la présence de certains fichiers sur Wikimedia Commons potentiellement sous le coup de la législation anti-pédopornographique.
Avant toute chose, il faut savoir que Larry Sanger n’est pas qu’un simple internaute responsable. Non content d’être philosophe, il a été l’un des premiers à soutenir le projet de Jimmy Wales. D’une certaine façon, on peut le considérer comme l’un des co-fondateurs de l’encyclopédie, bien que les routes de chacun se sont séparées quelques années plus tard, au motif que Wikipédia manquait de précision et contenait beaucoup trop d’erreurs factuelles.
L’idéologie de concevoir un projet regroupant le savoir humain n’avait en revanche pas disparu. Estimant que le seul bénévolat ne peut pas aboutir à un projet de qualité, Larry lança en 2006 le projet Citizendium qui avait pour ambition dissimulée de concurrencer Wikpédia, à ceci près que cette nouvelle encyclopédie ferait appel à des experts pour rédiger les articles. Un gage de qualité selon Larry, mais qui progresse évidemment moins vite que Wikipédia (la différence des contributeurs étant sans surprise abyssale).
D’aucuns estimeront peut-être que Larry a certainement cherché à déstabiliser la fondation Wikimedia en impliquant le FBI dans des accusations à peine voilées (encore que Fox News a titré l’affaire d’une façon qui ne manque pas de retenue… « Wikipédia distribue [du contenu] pédo-pornographique« ). D’autres estimeront que Larry Sanger a tout simplement fait preuve de vigilance et son devoir d’internaute. Toujours est-il que l’affaire a inquiété la fondation Wikimedia. Et son fondateur historique, Jimmy Wales.
Fox News, jamais dernier lorsqu’il s’agit de surfer sur un sujet ô combien brûlant et polémique, s’est tout naturellement saisi de l’affaire pour mener sa propre croisade moralisatrice. Comme l’explique la journaliste dans un nouvel article publié sur le site web du média américain, Fox News a contacté des « dizaines de compagnies qui ont donné à la fondation Wikimedia [...] pour savoir s’ils connaissaient l’ampleur des contenus multimédias explicites sur les différents sites » du projet. Des compagnies comme Google, Microsoft, Yahoo!, Open Society Institute, Ford Foundation, Best Buy, USA Networks ou Craiglist.
Un moyen guère reluisant de s’attaquer à Wikipédia (et aux divers projets, peut-être) en touchant au porte-feuille. Certes, la fondation s’appuie également sur les dons des contributeurs normaux, mais elle trouve également des ressources grâce aux concours de quelques entreprises (je crois me souvenir que Yahoo a avait offert des serveurs à Wikipédia, par exemple). La Fox, qui est une chaine portant des valeurs particulièrement conservatrices (qui a dit réactionnaires ?), a trouvé judicieux d’impliquer les généreux mécènes. Avec un certain succès, du moins temporaire.
On remarquera le glissement sémantique et l’élargissement du débat à l’ensemble des contenus pornographiques, alors qu’à l’origine les inquiétudes de Larry Sange portaient sur des images flirtant avec la ligne jaune de la pédo-pornographie et illustrant des pages comme « pedophilia » ou « lolicon ». Manifestement, Jimmy Wales n’a guère apprécié cette mauvaise presse naissante et a décidé unilatéralement de purger la Wikipédia. Un petit tour dans son historique d’édition (ou plutôt, de suppression) suffit pour s’en convaincre (note : Jimbo Wales est son surnom).
Sauf que Jimmy Wales a beau être le fondateur du plus formidable projet web, il n’est pas pour autant le Saint-Père de l’encyclopédie. Il est, comme n’importe quel autre participant, soumis aux règles de la communauté, même s’il bénéficie de privilèges spécifiques (plusieurs membres, sur les différents wikis, ont des pouvoirs similaires et plus ou moins étendus, en fonction de leur rôle et de leurs missions). Dans cette affaire, Jimmy a agit seul, sans la moindre consultation de la communauté. Or, la coutume veut que les grandes décisions soient publiques et concertées. Pas question d’imposer ses vues à l’autre, en gros.
Évidemment, la communauté a réagi comme à son habitude : ses suppressions injustifiées et massives ont été considérées comme du vandalisme, et Jimmy Wales ou pas, les fichiers ont été restaurés. Maintenant, toute la question est de savoir si Jimmy Wales a outrepassé ses prérogatives et a abusé de ses pouvoirs. Je n’ai pas eu vent des tous derniers développements de l’affaire, mais il ne serait pas étonnant que Jimmy Wales soit contraint de renoncer à ces privilèges. Peut-être qu’un vote de la communauté scellera le destin (du moins temporairement) du fondateur de l’encyclopédie…
En tout cas, les reproches sont virulents, comme en témoigne ce message publié à la suite d’une actualité dédiée à l’affaire : « je suis désolé, mais c’est d’une absurdité totale. Jimmy n’a pas « discuté » et ce qu’il a fait n’était pas une « discussion », mais une suppression unilatérale, sans discussion et en menaçant même de retirer les droits de n’importe quel administrateur qui serait en désaccord, vis-à-vis des images qu’il pourrait trouver « trop sexuelles« .
« Il n’y a pas eu de discussion, et franchement « ne pas les considérer comme problématiques » est une gifle au visage de la communauté, qui a fait de l’encyclopédie ce qu’elle est, et a été ignorée royalement par Jimmy à travers ses actes. Il semble que la fondation ne comprend toujours pas le problème« .
Photo : I love Wikipedia – CC BY-SA nohjan