De la propriété littéraire

by Soren on 2/01/2012

Essayons, par un exemple hypothétique, de reconstruire l’histoire des Fables de La Fontaine, en supposant qu’à la mort du poète la propriété littéraire fût déjà perpétuelle. Elles auraient eu le sort de tous les morceaux d’héritages. On en aurait fait un lot, les contes faisant un autre lot équivalent, et on aurait tiré au sort. Les voilà aux mains de quelques bourgeois de Château-Thierry, qui les traite comme une ferme et qui les loue à quelque libraire. C’est ce qui arrive de notre temps : plus de la moitié des œuvres littéraires productives de droits appartiennent à des gens qui n’y voient qu’un titre de rente. C’est une société financière qui possède et exploite les livres de Lamartine ; c’est l’ancienne femme de chambre d’une de ses amies des derniers jours qui détient l’œuvre de Mérimée : voilà à quoi sert souvent la propriété littéraire.

[...]

A un autre point de vue, c’est honorer bien peu, il semble, les plus belles productions de l’esprit humain que de les considérer sous l’aspect purement commercial. Loin de se plaindre, si l’on admire Musset, que les éditions de ses œuvres vont se multipliant, ne devrait-on pas s’en réjouir ? Appartenir à tous, devenir le pain quotidien de tous, n’est-ce point le rêve de tous les écrivains dignes de ce nom ? Pensons un peu moins au coffre-fort des propriétaires littéraires et un peu plus à la gloire des grands hommes qui ont vécu, écrit et souffert pour nous.

Remy de Gourmont, La propriété littéraire – Flânerie Quotidienne

Alors que les œuvres de Maurice Leblanc, père du célèbre gentleman cambrioleur Arsène Lupin, sont retournées dans le domaine public – tout comme les créations de nombreux auteurs français et étrangers – depuis dimanche, le blog Flânerie Quotidienne a retrouvé un texte de Remy de Gourmont, écrivain et critique d’art, en faveur du domaine public. Le propos a beau avoir plus d’un siècle, il est plus que jamais d’actualité, au regard de l’évolution régulière de la durée du droit d’auteur en France depuis 1791.

Photo : Salle de lecture Bibliothèque Mazarine depuis galerie – CC BY-SA Rémi Mathis

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