En démarrant son épopée cinématographique par l’épisode IV et non par l’épisode I, George Lucas a donné naissance à une saga dont la découverte peut se faire de deux façons. En effet, la première trilogie (épisodes IV, V et VI) est sortie entre 1977 et 1983. Or, celle-ci raconte des évènements postérieurs à la seconde trilogie (épisodes I, II et III), qui est arrivée plus tard au cinéma, entre 1999 et 2005.
Le spectateur a alors le choix. Il peut regarder les six films en respectant la sortie chronologique des longs-métrages dans les salles obscures, ou bien en respectant la chronologie de l’histoire de Star Wars. Dans le premier cas, le visionnage suit cet ordre : épisodes IV, V, VI, I, II et III. Dans le second, il suffit d’intervertir la position des deux trilogies : épisodes I, II, III, IV, V et VI.
D’après George Lucas, l’appréciation de la saga peut en être bouleversée. « J’ai pris beaucoup de plaisir à renverser la trajectoire des films à l’origine. Si vous les visionnez dans l’ordre de leur parution, IV, V, VI, I, II, III, vous obtenez un certain film. Si vous les visionnez en partant du I jusqu’au VI, le résultat est complètement différent. Une ou deux générations les ont vus d’une certaine manière, qui sera complètement autre pour les prochaines. C’est une façon de faire du cinéma extrêmement moderne, presque interactive. Vous prenez des cubes, vous les agencez différemment, et vous obtenez des états émotionnels différents« .
George Lucas a en effet raison : visionner la saga dans un ordre ou dans l’autre peut modifier fortement la perception que le spectateur peut avoir vis-à-vis de la saga dans son ensemble. Cependant, voir la saga dans l’ordre chronologique de l’histoire (I à IV) sacrifie le moment-clé de la saga où Dark Vador annonce à Luke qu’il est son père. L’effet de surprise disparaît complétement, à cause de la fin de l’épisode III, au moment où Padmé annonce les noms de ses enfants.
La seule chronologie valable serait donc celle de la sortie au cinéma ? Pas tout à fait. Rod Hilton, auteur du blog Absolutely No Machete Juggling, propose une troisième manière de profiter de la saga, avec l’ordre suivant : IV, V, I, II, III et VI. Oui, la seconde trilogie est imbriquée dans la première. Et oui, il propose même de retirer l’épisode I pour ne garder que cinq films : IV, V, II, III et VI.
Il m’a aimablement autorisé à faire une synthèse (certes assez longue) de son explication.
Réarranger Star Wars
Pourquoi réarranger Star Wars ainsi ?
D’abord, parce que la diffusion en suivant l’ordre de sortie au cinéma pose aussi quelques soucis de cohérence : un téléspectateur qui n’a par exemple jamais vu Star Wars découvrira à la toute fin de la trilogie originale un personnage totalement inconnu à la chevelure ébouriffée : Anakin Skywalker. Or, ce visage n’est pas familier. Il n’apparaît nul par ailleurs dans la trilogie originale.
Pourtant, il est clairement mis en avant comme un personnage important : il est aux côtés de Yoda et Obi-Wan Kenobi. Mais le spectateur ne peut pas se douter qu’il s’agit du père de Luke revenu sous forme d’esprit. Le visage ravagé de Vador lorsque Luke retire son casque ne permet pas de faire le lien. Il manque une information. La fin de la trilogie se termine alors sur une note quelque peu déroutante.
Ensuite, parce que l’épisode I est un échec à tous les niveaux. Les personnages introduits meurent (Dark Maul, Qui-Gon Jinn, le chancelier Valorum), sont secondaires (Watto, Nute Gunray) ou sont vraiment développés dans les épisodes suivants (Mace Windu, Dark Sidious). L’intrigue elle-même n’est pas indispensable pour comprendre et apprécier l’histoire principale.
Surtout, écarter l’épisode I, c’est écarter Jar-Jar Binks.
Mais il ne s’agit pas ici de faire un réquisitoire contre l’épisode I.
Partons donc sur la proposition douce de Rod Hilton, en conservant quand même ce film. En visionnant la saga dans cet ordre (IV, V, I, II, III et VI), le spectateur suit donc en premier lieu les aventures d’un jeune fermier jusqu’au coup de théâtre survenant à la fin de l’épisode V. Ce coup de théâtre, c’est la découverte que le père du jeune homme est devenu la pire menace de la galaxie.
L’importance de la révélation justifie alors d’effectuer un long flashback pour expliquer au spectateur pourquoi Anakin Skywalker, le père de Luke, est devenu Dark Vador. C’est une information importante, qui mérite d’être fouillée. D’autant qu’à ce stade de l’histoire, comme le note Rod Hilton, il est possible de faire une longue pause puisque plusieurs points d’étape ont été atteints :
Le seigneur maléfique vêtu de noir a avoué à Luke qu’il est son père, Luke est grièvement blessé suite à son duel, Han Solo est emprisonné dans la carbonite et l’Empire a durement frappé les forces de l’Alliance. Il n’est pas nécessaire de raconter immédiatement la suite. Insérer la seconde trilogie est donc une bonne occasion de reporter à plus tard la résolution de ces différents évènements.
Ce retour en arrière dure trois films (ou deux si vous optez pour la méthode dure en excluant l’épisode I) et raconte donc l’histoire passée d’Anakin, de son ascension en tant que Jedi jusqu’à sa chute comme seigneur Sith. Une fois les explications données, le fil de l’histoire de Luke peut alors reprendre avec l’épisode VI.
Vous l’aurez compris, ce choix vise essentiellement à éviter que la fin de l’épisode VI ne se transforme en imbroglio avec l’arrivée d’un personnage mystérieux. Il permet d’introduire Anakin Skywalker dans la trame de l’histoire. Il donne de l’épaisseur à la tragique histoire de Dark Vador.
Le Côté Obscur et les Skywalker
Ces cartes en main, le spectateur peut découvrir l’épisode VI avec une tension renforcée. Mais surtout, ce réarrangement va permettre de mettre parfaitement en évidence le fait que Luke est malgré lui en train de suivre son père sur le chemin du Côté Obscur, puisque la majorité des actions et des décisions que prendra Luke dans l’épisode VI a déjà été vu dans les épisodes I, II et III, vu juste avant.
- La première fois que Luke apparaît à l’écran, il est vêtu de noir, la couleur portée par Anakin dans les épisodes II et III, lorsqu’il commence à devenir un jeune homme turbulent.
- Il est à moitié masqué par la capuche de sa robe de pure, ce qui lui donne une ressemblance frappante avec Dark Sidious. De plus, lorsqu’il rentre dans le palais de Jabba, la luminosité de l’extérieur donne un effet de contre-jour troublant : est-ce Luke qui approche ou bien Vador ?
- Il utilise la Force pour neutraliser des gardes du palais de Jabba le Hutt, tout comme Dark Vador l’a fait dans les épisodes IV et V (qui ont été vus en premier) ou Anakin dans l’épisode III dans son duel avec Obi-Wan.
- Il menace Jabba, en lui conseillant vivement de coopérer en libérant ses amis sous peine d’être détruit. S’il coopère, il peut en tirer profit. Qui d’autre hormis un seigneur Sith s’exprime ainsi ?
- Il essaie de corrompre Jabba en lui offrant ses deux droïdes, R2-D2 et C-3PO et de lui rappeler en même temps de ne pas sous-estimer ses pouvoirs. Cette phrase a été prononcée par Anakin, alors corrompu, peu avant son duel avec Obi-Wan.
- Luke tranche la main de Vador lors de la confrontation finale. Tout comme Vador a sectionné la main de Luke dans l’épisode V. Mais surtout, comme Anakin a coupé la main de Mace Windu dans l’épisode III.
Bref, le jeune Luke est sur une pente dangereuse qui ressemble dramatiquement à celle prise des années auparavant par son père, alors jeune homme plein d’ambition. Il n’a pas l’attitude d’un Jedi. Il est en train de glisser lui aussi vers le Côté Obscur. Cette sensation apparaît clairement en voyant d’abord la prélogie puis l’épisode VI.
Bien sûr, même en regardant la saga dans l’ordre IV, V, VI, I, II, III, le dérapage moral de Luke est perceptible. Mais son impact sur le spectateur est limité, puisque le parallèle ne peut être fait correctement du fait de la position des différents films. Le dérapage de Luke survient assez tôt (au 3e film diffusé), tandis que celui d’Anakin se passe tardivement (au moment des deux derniers films vus).
Avec le Machete Order, on voit d’abord Obi-Wan entraîner Luke puis juste après, au moment du flashback, on voit que le Jedi s’occupait déjà de son père auparavant. Avec les résultats que l’on sait. Le lien entre Anakin et Luke en ressort renforcé, ce qui est une excellente chose puisque le flashback doit justement nourrir le coup de théâtre appris à l’épisode V et amorcer un épisode VI dantesque.
L’Épisode VI, la conclusion
Car l’épisode VI a cet objectif : croiser les destins de Luke et d’Anakin dans un même long-métrage. Comme l’explique Rod Hilton, à la fin de l’épisode VI, Luke défie l’Empereur. Celui-ci cherche à le briser, en lui expliquant que l’attaque de l’Alliance sur la nouvelle Étoile Noire est vaine. C’est un piège (it’s a trap !) destiné à éradiquer une bonne fois pour toute la rébellion.
Certes, Luke résiste un temps aux provocations de Palpatine, qui lui glisse que ses amis vont bientôt mourir, qu’il ferait mieux de le terrasser tout de suite en empoignant son sabre-laser et mettre fin à ce carnage. Il s’agit de créer une tension au cours de laquelle Luke pourrait basculer du Côté Obscur de la Force.
Crédible ? Avec la diffusion de la trilogie originale puis de la prélogie, la crédibilité de la scène est discutée. Mais en glissant la prélogie de la trilogie, le spectateur a un contexte particulier : il a pu voir récemment ce qu’il s’est passé avec son père, qui lui aussi essayait de sauver son être aimé, Padmé, craignant de la voir mourir.
Autrement dit, on a d’abord Anakin Skywalker qui est poussé à utiliser ses pouvoirs pour sauver Padmé dans l’épisode III. Et juste après dans l’épisode VI, l’Empereur Palpatine essaie à son tour de pousser le fiston à faire de même pour sauver ses amis, en le provoquant et en prédisant leur mort. Bien plus crédible.
Pour conclure, l’ordre proposé par Rod Hilton est effectivement inhabituel. Mais il consiste en fin de compte à glisser un gros flashback dans la trame narrative principale, qui est en réalité l’histoire de Luke Skywalker sauvant son père. Pour lui offrir la rédemption. Et pour bien comprendre comment ce dernier a sombré, un retour en arrière intercalé dans la trilogie est indispensable. Le final n’en est que plus formidable.
Note : l’article de Rod Hilton va plus loin en proposant même d’exclure l’épisode I de la saga. Je n’ai pas abordé ce point dans cette adaptation en français de la suggestion de Rod Hilton, dans la mesure où l’écriture de ce billet a mobilisé déjà beaucoup de temps et qu’il s’agissait surtout de montrer que l’intérêt de la saga en ressort grandit grâce à ce réarrangement des trames d’Anakin et de Luke.
Cependant, Rod liste toute une série d’avantages justifiant la mise de côté de cet épisode (que je n’apprécie pas par ailleurs). Cela cause quelques bizarreries dans certains dialogues ou certaines attitudes, mais dans l’ensemble, exemples à l’appui, c’est une décision qui est viable puisque l’épisode I, en plus d’être foiré, n’est pas indispensable pour la suite. Cela améliore même l’épopée par certains aspects
Il y a un seul point véritablement gênant, c’est lors du retour temporaire d’Anakin sur Tatooine dans l’épisode II. Sans l’épisode I, certaines relations (Watto-Anakin) et certains évènements (la raison du retour, la situation de Shmi, la jeunesse d’Anakin) ne sont pas expliqués. Mais les quelques inconvénients ne pèsent rien face aux multiples points positifs apportés par Machete Order.
Photos :
- Star Wars Celebration – CC BY-NC-ND SRisonS
- Star Wars - CC BY-NC-SA Ludie Cochrane
Maintenant, reste à savoir où intercaler les épisodes VII, VIII et IX :D
Il va déjà falloir que Disney réussisse à faire un épisode VII convaincant ;-).